Le gouvernement fédéral est en retard pour prendre une décision dans plus de la moitié des demandes de résidence permanente au Canada, et exige encore plus de patience de la part des demandeurs d’asile et des Africains, a découvert la vérificatrice générale du Canada.
Un rapport déposé jeudi montre que malgré ses investissements et ses embauches, le ministère Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) n’est pas arrivé à rattraper entièrement le retard accumulé durant la pandémie de COVID-19.
Paradoxalement engagé dans une course folle pour battre les records d’admission de nouveaux arrivants au pays, le gouvernement met une « pression opérationnelle » qui fait en sorte que des demandes plus récentes sont traitées. Cela fait prendre la poussière aux vieilles demandes de la pile, ce qui est contraire à la bonne pratique du « premier arrivé, premier servi ».
« L’ensemble des programmes de résidence permanente comportait d’importants arriérés de demandes en attente de traitement », se désole la vérificatrice générale, Karen Hogan.
Surtout les réfugiés
Le problème de délais touche tout particulièrement certaines catégories d’immigration et certaines régions du monde. Les bureaux d’immigration en Afrique subsaharienne souffrent d’un « manque chronique de ressources » et croulent conséquemment sous les demandes en retard. Le ministère ne fait rien pour partager le fardeau avec d’autres bureaux, même s’il en a le projet depuis 2016.
« Par exemple, la charge de travail du bureau de Dar es Salaam (Tanzanie) était cinq fois plus élevée que celle du bureau de Rome (Italie), même si les deux bureaux avaient un effectif comparable », observe la vérificatrice.
Le bureau de Nairobi, au Kenya, fait aussi les frais de ce problème. Les réfugiés parrainés par le gouvernement en provenance de la Somalie et de la République démocratique du Congo ont aussi plus de chance de se retrouver dans la boîte des retards que les réfugiés syriens.
Le portrait n’est pas entièrement négatif, puisque le gouvernement fédéral a réussi à améliorer ses délais de traitement pour deux des trois grandes catégories d’immigration, soit les immigrants économiques et le regroupement familial. Par contre, la situation s’est aggravée en 2022 pour les personnes réfugiées et protégées à titre humanitaire.
À la fin de 2022, 99 000 demandeurs d’asile étaient toujours en attente d’une décision dans leur dossier. Au rythme de traitement des fonctionnaires, plusieurs années seront vraisemblablement nécessaires pour passer au travers des demandes déjà dans le système.
« Le nombre de demandes présentées au titre du Programme de parrainage privé de réfugiés en attente de traitement était déjà trois fois plus élevé que le nombre de personnes réfugiées que le ministère pouvait admettre au cours de cette année [2022] », écrit l’agente du Parlement.
Cela fait en sorte que le délai moyen pour le Programme de parrainage privé de réfugiés est l’un des plus longs, à 30 mois, ou deux ans et demi. Le ministère est régulièrement en retard sur ses normes de service, établies à entre 6 et 12 mois selon la catégorie d’immigration.
Selon la vérificatrice générale, les dossiers de demandeurs d’asile restent intouchés entre 15 et 20 mois avant même qu’un fonctionnaire entreprenne de vérifier son admissibilité. « Ce n’est pas normal que juste pour ouvrir un dossier ça prenne deux ans. Ces gens-là sont des réfugiés ! » s’en est indigné le député du Bloc québécois Alexis Brunelle-Duceppe.
Il note que différents rapports ont conclu à des problèmes de racisme à l’intérieur même de la bureaucratie canadienne. Le Devoir a aussi rapporté que les étudiants africains étaient plus nombreux que les autres à être refusés au pays.
Dossiers toujours plus poussiéreux
Chaque dossier en retard s’ajoute à la longue liste des arriérés, mais de vieilles demandes finissent aussi par être examinées. Même quand le gouvernement arrive à diminuer le nombre d’arriérés, l’âge des dossiers qui restent s’allonge d’année en année. Par exemple, en 2022, les vieilles demandes au programme de parrainage d’époux ou conjoints de faits au Canada avaient été déposées en moyenne il y a 47 mois, ou presque quatre ans.
Pour accélérer le traitement, le gouvernement a créé une méthode automatique pour évaluer la recevabilité des dossiers. Or, celle-ci n’est pas également disponible dans tous les bureaux. Cela pénalise en particulier les demandeurs haïtiens, dont la « quasi-totalité » des formulaires sont acheminés manuellement, à l’ancienne.
Pour toutes ces raisons, la vérificatrice générale recommande officiellement au gouvernement de s’attaquer « aux disparités raciales dans les délais de traitement », en recueillant des données sur les demandes en retard.
Le ministre de l’Immigration, Marc Miller, a dit jeudi que ces constatations vont lui faire « poser des questions » à la fonction publique. « Le racisme systémique existe dans tous les ministères, dit-il. Je suis à la tête d’un ministère en particulier qui, dans le passé, ne laissait que les gens blancs rentrer. Ça a changé, mais il faut que ça change davantage. »
Le ministre promet de permettre le dépôt des demandes d’asile en ligne « bientôt », ce qui était une autre lacune identifiée par la vérificatrice.
En 2022, le Canada a atteint sa cible d’admission de 431 645 nouveaux résidents permanents. La cible du fédéral est d’accueillir 500 000 personnes pour 2025. Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada compte sur 2600 employés pour traiter les demandes de résidence permanente, répartis dans 87 bureaux au Canada et dans le monde.
Source: ledevoir.com