Encore trop d’obstacles pour les immigrants dans l’industrie de la construction

Difficultés avec la langue, complexité des démarches, problèmes liés au statut temporaire. Même en pleine pénurie de main-d’oeuvre, des immigrants qualifiés doivent affronter de nombreux obstacles qui freinent leur intégration dans l’industrie de la construction. C’est ce que relève une étude menée entre 2021 et 2022 auprès de quelque 250 répondants — immigrants, employeurs et acteurs du milieu, comme des syndicats — effectuée par des organismes de recherche-action affiliés à l’Université de Montréal.

Tout juste avant la pandémie, la Commission de la construction du Québec (CCQ), en partenariat avec la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrants et Conseil emploi métropole, avait décidé d’explorer de plus près la relation des immigrants avec cette industrie hautement réglementée. La CCQ a donc demandé au Centre de recherche et de partage des savoirs InterActions et à l’équipe de recherche ERASME d’en dresser le portrait.

Un portrait qui pourrait notamment nourrir les échanges actuels sur la réforme de la loi R-20, pilotée par le ministre du Travail, Jean Boulet, au moment où les associations patronales demandent plus de flexibilité au milieu. Selon les plus récentes données de l’Institut de la statistique du Québec, il y avait somme toute peu d’immigrants dans l’industrie de la construction en 2017, à peine 8,2 % de la main-d’oeuvre, ce qui place le secteur au 13e rang sur 14 parmi les autres industries, telles que le transport et l’entreposage (22,8 %) ou l’hébergement et la restauration (17,8 %).

« Mon premier constat c’était : “Mon Dieu que c’est compliqué pour les immigrants !” », a déclaré Marie-Jeanne Blain, professeure d’anthropologie et chercheuse principale de cette étude menée en collaboration avec Lucio Castracani.

À commencer par la lourdeur des démarches de reconnaissance professionnelle, un important frein à l’accès au marché du travail. « Savoir où il faut aller chercher la correspondance de mon diplôme… Savoir quelles cartes il faut pour travailler. Pourquoi il faut des cartes ? Tout ça, c’est compliqué à comprendre au début », relate Jérémie, un immigrant charpentier-menuisier qui témoigne dans l’étude.

Pour Mme Blain, ce n’est pas l’information qui manque, mais l’accompagnement personnalisé. « Par exemple, il y a plusieurs voies d’entrée pour faire reconnaître ses acquis. Juste de savoir par laquelle on passe, c’est compliqué », affirme-t-elle. « Ça n’existe pas, une personne-ressource spécialisée pour les immigrants en construction. »

 

Difficultés et découragement 

Toute cette complexité semble aussi décourager certaines entreprises, qui cherchent de la main-d’oeuvre prête à travailler sur-le-champ. « Il y a des employeurs qui voudraient que le travailleur soit opérationnel demain matin », dit la chercheuse. Et parfois, souligne-t-elle, après des mois de démarches pour recruter un travailleur à l’étranger, celui-ci peut se voir refuser son permis de travail par un agent des services frontaliers à l’aéroport. « On a eu des cas où des employeurs avaient embauché cinq travailleurs, mais il n’y en a que deux qui ont réussi à passer », dit-elle. Tant pour l’employeur que pour le travailleur migrant, la prise de risques est grande, ajoute-t-elle.

D’où la recommandation de simplifier les démarches pour le recrutement à l’étranger et d’offrir des services d’accompagnement aux entreprises. « Pour l’agriculture, je crois qu’ils ont des visas spéciaux », a mentionné dans le rapport Jean-Philippe, un employeur qui a tenté — en vain — de recruter en Amérique latine. « Je ne sais même pas si ça existe pour la construction, mais je suis sûr que c’est plus simple en agriculture qu’en construction. »

Les travailleurs temporaires sont quant à eux à la merci des délais et des procédures pour l’obtention et le renouvellement de leur permis de travail. Certains programmes, comme la Reconnaissance des acquis et des compétences, sont moins accessibles pour des immigrants non permanents, qui doivent souvent faire une croix sur leur reconnaissance professionnelle.

Le statut temporaire peut aussi ouvrir la porte à des abus. Recruté par une entreprise de Chaudière-Appalaches comme travailleur temporaire avec un permis fermé, Carlos, un soudeur d’origine mexicaine, s’est rendu compte que lui et d’autres collègues ayant le même statut étaient moins bien payés que les autres soudeurs, bien qu’ils effectuaient exactement les mêmes tâches.

« On a eu un cas d’un travailleur qu’[un employeur] avait fait venir d’Amérique latine et qui, une fois arrivé ici, a été mis à pied parce qu’il ne parlait pas français », souligne Marie-Jeanne Blain.

 

Le français, facteur discriminant 

La langue française a d’ailleurs été pointée comme un élément influençant énormément l’intégration d’un travailleur migrant. « Ça fait consensus. La communication joue un grand rôle », a indiqué la chercheuse. C’est d’abord le cas pour les employeurs, pour qui la maîtrise du français se présente comme une question de santé et de sécurité au travail.

Quant aux immigrants, la non-maîtrise de la langue de Molière peut être un « facteur discriminant », tant pour la reconnaissance des compétences — la traduction des documents, notamment, coûte très cher — que l’accès et le maintien à l’emploi et l’avancement professionnel. « [Elle] peut entraîner un processus de marginalisation professionnelle », révèle l’étude, qui documente des cas où des immigrants allophones n’ont pas été en mesure d’intégrer le secteur réglementé et protégé par des syndicats.

Diego, un résident permanent péruvien, raconte avoir voulu profiter du fait qu’il avait son certificat de compétence pour sortir de l’industrie « non régie » après avoir fait une formation en santé et sécurité de l’ASP Construction. Il en a été incapable en raison de son niveau de français. « Ils me disent […] : “Si je t’envoie faire un mur, ou faire une coupe ou quelque chose… Tu ne vas pas savoir comment faire” », témoigne-t-il dans l’étude.

Pedro, lui, dit ne jamais s’être senti intégré dans son équipe de couvreurs. « Tu peux avoir beaucoup de connaissances, mais si tu ne connais pas la langue, ils ne vont jamais bien t’intégrer. Ça sera toujours un enjeu. »

Une trentaine de recommandations découlent du rapport commandité par la CCQ, allant d’un accompagnement individualisé pour les immigrants jusqu’à la création de ponts entre les divers acteurs, ceux de l’industrie, mais aussi les institutions publiques et les organismes communautaires. « Je ne mets pas mes lunettes roses, mais j’ai été agréablement surprise de constater la bonne volonté des partenaires et de voir à quel point les employeurs voulaient bien faire les choses », conclut Marie-Jeanne Blain, qui espère que ses travaux pourront inspirer la réforme prochaine de la loi.

Source: ledevoir.com




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